- Tu dors ?
- Non.
…
- Tu dors ?
- Non.
…
- Et là ? Tu
dors ?
- Non, toujours pas.
…
Le réveil sonna. 3h
du matin. La nuit avait été courte. Très courte. Trop courte.
C'était le jour. Le
grand jour. Celui du Marathon des Gabizos. L'objectif principal de
Jean pour l'année. Il voulait décrocher sa lune. La Course des
Refuges lui avait donné de nombreux espoirs. Les semaines qui ont
suivi, beaucoup de doutes.
Jean récupéra Ma
la Durite qui était aussi inscrite sur la course. Elle était prête,
forte de ses 62km du Trail du Hautacam avalés il y a quelques mois.
A la lumière des
frontales, la course débuta. Jean tenta d'aller doucement, laissant
Ma disparaître au loin. Pourtant, le rythme de son cœur était déjà
trop haut pour la faible vitesse.
- Je veux un lit,
fit le cerveau embrumé, immédiatement suivi par tout le reste du
corps. Un joli lit bien moelleux, bien douillet.
- Déjà ?
répondit Jean, dépité.
A peine parti, la
course sentait déjà le sapin.
La montée jusqu'au
Col de Saucède se fit plutôt bien dans l'ensemble. Mais Jean
sentait que les sensations n'étaient pas formidables. Il alternait
marche et course au gré des pentes. Derrière lui, le soleil se
levait sur les montagnes et les vallées, peignant les cieux d'un
pinceau de lumière multicolore. Sublime tableau. Jean admirait l'art
du maître.
Le parcours
redescendait sur le Cirque du Litor. Ma n'était pas trop loin, Jean
pouvait l'apercevoir. Il la vit sortir du sentier pour se soulager
dans un buisson. Il en profita sournoisement pour la dépasser.
La suite fut une
montée rude sur le Col de Tortes. Sensations toujours plus
mauvaises.
- Ça va encore être
long ? questionnèrent les jambes.
- On vient juste de
partir, grommela Jean.
- Pfff… pfff…
pfff… soufflait le cœur essoufflé.
Jean regardait
plusieurs concurrents le dépasser allègrement alors qu'il menait un
petit groupe.
Descente technique
sur Gourette. Pas trop mal. Ça pourrait être pire. Ça allait être
pire… Il courait plus ou moins. Jean reprit un peu espoir. Il
arriva au ravitaillement où il prit largement son temps. Il discuta
un peu avec son frère, venu le supporter. Venir en début de course,
bonne intuition.
Comme à son
habitude, Ma déboula, se ravitailla au plus vite et reprit la
course, tête baissée, dans sa bulle. Jean décida qu'il était
temps de repartir en baver.
Montée sur le Lac
d'Anglas puis celui d'Uzious, celui du Lavedan et enfin le Col
d'Uzious.
- A quoi ça sert de
monter ? Il va falloir redescendre après ! s'énervèrent
les jambes. C'est débile !
- C'est la recherche
de ses limites, le dépassement de soi. C'est la beauté du sport,
répondit Jean.
- Oui ben c'est
moche, ton sport. On pourrait être tranquilles, à rien faire. On le
fait très bien ça. On excelle même ! Du grand art ! Des
Zidane de la glandouille ! Un passement de jambes allongé dans
le canapé, ça c'est la classe ! Ça, c'est beau !
Début de l'enfer.
Dégustant un petit
mojito en compagnie de Gab, Bébel eut un sourire en coin. Ils
regardaient avec délectation les souffrances du petit coureur.
-
Tu t'acharnes sur ce Jean,
fit Bébel, je comprends pas.
Il est nul
en montée, pire en descente. Et sur le plat, il
casse pas trois pattes à un canard.
Il a pas besoin de toi pour en baver. Il le fait très bien tout
seul.
- T'as lu pour quoi
il me fait passer dans ses textes ? Comme si j'étais un gros
con. Un enfant gâté. C'est quand même un comble ! Moi, l'ange
Gab !
Bébel leva les yeux
au ciel, se demandant comment le grand barbu pouvait donner des
responsabilités à ce gars là.
Jean n'avançait
pas. Il avait même l'impression de reculer. Il se faisait dépasser
continuellement et ne dépassait jamais personne. Il arriva au Lac
d'Anglas. Le lieu était magnifique. Il s'arrêta.
- Dis plutôt que
c'est parce que tu n'en peux plus, firent les jambes.
- Si on peut lier
l'utile à l'agréable, rétorqua Jean.
- Et si on
redescendait maintenant que t'as vu ce joli lac ?
Sans un mot, le
petit coureur reprit son ascension infernale. Les jambes grommelèrent
dans leurs poils.
Petite descente sur
le Lac d'Uzious. Difficile. Montée sur le Lac du Lavedan. Dure.
Montée sur le Col d'Uzious. Affreuse.
- 30 minutes
jusqu'au Lac du Tech et son ravitaillement, fit un bénévole posté
au col.
- Il me prend pour
Kilian Jornet ? pensa Jean avant de basculer sur la descente.
Le petit coureur
tenta de courir. Il y parvenait avec beaucoup de difficultés, sur de
courtes distances, au ralenti. Au début. Puis plus rien. Il mit un
peu plus d'une heure.
Jean arriva au
ravitaillement du Lac du Tech. Il s'étendit de tout son long sous la
longue tente, abattu. Le moral dans les chaussettes.
- Mauvaise
préparation, firent les jambes.
- Mauvaise
alimentation, rétorqua l'estomac.
- Mauvaise
hydratation, dit la gorge.
- Vous n'y êtes
pas, répondit le cervelet rachitique, c'est la chaleur. Trop chaud !
- Non, non. Pas
assez de force dans les jambes, fit le cerveau.
- N'importe quoi,
c'est le dos qui se décompose, rétorquèrent les jambes.
- Quoi ?
s'emporta le dos. C'est plutôt le cœur qui suit pas le rythme.
- Ah non !
s'exclama le cœur. C'est l'estomac qui n'a envie de rien.
- Vous rigolez ?
reprit l'estomac. C'est plutôt un manque de mental !
- Taisez-vous !!!!!
s'écria Jean, excédé.
Le petit coureur
leva le drapeau blanc. La vérité était simple, sans fioritures.
C'était trop dur pour lui, il n'avait pas le niveau. Il enleva son
dossard, tête baissée, et le donna à un bénévole.
- C'est pas grave,
dit le cœur qui était triste pour Jean. Ce n'est que du trail.
- Et puis tu as
essayé, reprit le cerveau. Faut bien essayer pour savoir. Et
apprendre.
- C'est pas comme si
ça faisait 10 ans que tu courrais, rajouta le cervelet rachitique.
- On a encore plein
d'autres rêves à vivre ! fit le dos.
- Plein de joie à
prendre, continua l'estomac.
- On reviendra,
reprit le cœur.
- T'es nul, t'es
nul, c'est pas un drame, firent les jambes. Quoi ? Qu'est-ce
qu'on a encore dit ? continuèrent-elles alors que tous les
autres les regardaient de travers.
Ma la Durite termina
la course. Il ne pouvait en être autrement.
Le soir, alors que
le soleil n'était plus, Jean regarda l'astre de nuit. Il était
encore beaucoup trop loin pour lui. Jean de la Lune n'était qu'un
rêve.
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