Jean attendait
derrière l'arche de départ du 33km de la Course des Refuges, à
Cauterets. Anxieux. Impatient.
Dans son club,
nombreux étaient les coureurs qui étaient inséparables. Ce
jour-là, les duos étaient plutôt solos. Polo était venu sans
Marco, la Brindille sans le Rameau. Un couple avait pourtant résisté.
Fred Ramram et Stef Namasté avaient pris le départ, 1h30
auparavant, pour le 53km, en compagnie de Phil le Nonchalant.
Polo était livide.
Il était venu non seulement sans Marco, mais surtout sans ses
genoux. Douloureux depuis quelques temps, le gauche plus que le
droit, Polo devait bientôt passer une IRM pour en savoir plus. Il se
demandait bien s'il ne faisait pas là la course de trop. Et si il
pourrait continuer à arpenter les montagnes lorsqu'il aura le
diagnostique. Jean ne savait pas trop quoi lui dire, il espérait
simplement que, finalement, les nouvelles seront bonnes.
Le départ fut
donné.
- Si t'en baves au
début, Petit Scarabée, la ligne d'arrivée, sûrement, tu ne verras
pas.
Jean respecta les
préceptes de Coach Lolo. Il partit avec le fond du peloton, en
compagnie de Polo. Il avait pour but de finir la course, ne jamais se
mettre dans le rouge et surtout de profiter de chaque instant.
Le parcours grimpait
dès le départ. En pente assez douce. Les yeux rivés sur son
cardio, alternant marche et course, Jean lâcha lâchement Polo et
rattrapa petit à petit des coureurs pendant que d'autres le
doublaient. Les paysages commençaient déjà à dévoiler leurs
merveilles. De bonnes sensations. Jean arriva au Refuge d'Ilhéou et
son lac, qui était bien là.
- T'as pas vu
Vianney ? firent les jambes, hilares.
Dépité, Jean
préféra se taire.
Grosse montée dans
un pierrier de gros blocs. Fallait aimer le caillou. Jean aimait ça.
Il arriva au Col de
la Haugade et s'arrêta pour profiter du paysage. Au-dessus, les
sombres nuages étaient assez hauts et laissaient les sommets se
dévoiler au regard. Au-dessous, la mer de nuage remontait de
Cauterets et avalait le Refuge d'Ilhéou d'un côté et le Pont
d'Espagne de l'autre. Superbe.
Jean repartit
prudemment sur une descente en pente douce. Technique, en devers. La
pluie, qui était présente depuis la montée du pierrier mais
n'était qu'un crachin, décida de cracher plus fort. Le petit
traileur enfila sa veste.
Un premier lac, le
Lac supérieur de l'Embarrat. Une montée sèche dans les cailloux.
Pour changer. Un deuxième lac, le Lac de Pourtet. Magnifique. Jean
s'engagea dans la descente pour atteindre le troisième lac, le Lac
Nère. Il courait avec précaution, avec l'idée de garder ses
chevilles jusqu'au bout de la course. Des bénévoles, emmitouflés
dans leur pancho, surveillaient les participants contre vents et
marées.
La pluie froide
tombait drue. L'ange Gab jouissait de bonheur.
- Qu'est-ce que vous
avez ? fit un technicien s'adressant à son supérieur.
- Ils ont dévié la
course et l'ont raccourci par mesure de sécurité. Pan ! Dans
les dents, le Jean ! répondit Gab.
- Mais c'est le 53km
qui est modifié.
- Oui.
- Et Jean, il est
sur le 33.
Le bonheur de Gab
s'écroula.
- Il me fait chier,
ce Jean ! s'écria l'ange en claquant la porte. Il me fait
chier !
Jean termina cette
longue descente technique jusqu'au Refuge Wallon-Marcadau.
- Jolis raisins
presque secs ! fit le bénévole tout sourire en désignant
l'assiette détrempée par la pluie. Et pain d'épices façon
éponge ! se tournant vers une autre. Ou encore fromage à l'eau
des montagnes ! pointant du doigt une dernière.
L'aspirant traileur prit tranquillement son temps à ce ravitaillement.
Marcel le Randonneur
était parti tôt. Il voulait profiter de la montagne, de sa beauté,
de son étendue infinie. Il aimait partir seul pour se retrouver en
communion avec la nature, loin de la folle civilisation. Les nuages
noirs s’amoncelaient sur les sommets. La pluie arriva rapidement.
Marcel préféra voir le bon côté des choses. Au moins, avec ce
temps, il ne rencontrerait pas grand monde. Un homme en short et
baskets déboula devant lui. Marcel dût se mettre de côté pour le
laisser passer. Puis un second. Un troisième. Un quatrième. Et
encore un autre. Encore et encore. La meute ne semblait jamais finir.
Ils étaient 400.
- Journée de merde,
pensa Marcel.
Certains lui
adressaient un bonjour. Il répondit aux premiers, fit la gueule aux
derniers.
Jean fit la descente
roulante jusqu'au Pont d'Espagne sous un ciel qui s'éclaircissait.
Il se sentait plutôt bien. Le soleil était là. Il commençait à
faire chaud.
Descente vers
Cauterets par le Chemin des Cascades. A nouveau technique. Difficile.
Magnifique.
- Aïe ! Aïe !
Aïe ! criait le genou gauche de Jean, comme souvent sur les
pentes raides lors de longues sorties.
- C'est pas bientôt
fini ? enchaînèrent les cuisses.
Entre les pierres,
la boue, les racines et les grosses marches naturelles, ça faisait
mal. Mais Jean n'écoutait pas. Il pensait à la descente. Longue,
longue, longue. Et surtout, après, fini.
Il arriva à la
Raillère.
- C'est à droite,
fit un bénévole.
- Euh… vous êtes
sûr ? fit Jean.
- Oui, oui.
- Mais à droite, ça
monte.
- Oui, oui.
- Et à gauche, ça
descend.
- Oui, oui.
- Et c'est à
droite ?
- Oui, oui.
- Sadique, fit Jean
entre ses dents serrées.
La montée était
difficile. Moralement. Le passage à la cascade du Lutour,
rafraîchissant. Elle était puissante. Jean passa le petit pont, le
visage fouetté par les embruns. Puis à nouveau de la grimpette. Pas
violente, mais dure en fin de parcours.
Puis un passage
interminable plus ou moins plat jusqu'au dessus de Cauterets. Une
descente avec de nombreux lacets. Très nombreux. Et une arrivée au
milieu de la foule. Sous les applaudissements. Comme si Jean était
quelqu'un d'important alors qu'il n'était qu'un coureur lambda. La
cerise sur le gâteau.
Comme d'habitude, la
Brindille était arrivée depuis bien longtemps. Elle aurait presque
eu le temps de faire un deuxième tour. Phil le Nonchalant franchit à
son tour la ligne d'arrivée du 53K, un peu déçu que le parcours
ait été raccourci mais conscient que cela était nécessaire. Puis
Namasté. Puis Ramram peu après, toujours sur le 53K. Admiration. Et
Polo. Qui boucla la course malgré ses genoux et arriva même bien
plus vite qu'il n'avait pensé au départ. Respect.
Jean était heureux.
Ce 33km de la Course des Refuges était certainement l'une des plus
belles auxquelles il avait participé jusque là. De la montagne. Des
lacs, des cascades, de la forêt. Et des cailloux. Plein de cailloux.
Des images plein les yeux, des souvenirs plein la tête. Les jours
suivants, Jean y repensait sans cesse. Il rêvait de cailloux.
Super comme toujours et toujours autant de plaisir à te lire merci Monsieur Jean
RépondreSupprimerPolo
Merci à toi, Polo ! Et bon courage pour la suite. Tiens-moi au courant.
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