Quinze jours après
le Pont d'Espagne, Jean était à nouveau sur une course en montagne
pour barboter dans la neige. Il était venu avec des amis du club.
Pour Bébert, c'était le premier trail blanc. Il avait choisi le bon
jour, on annonçait la tempête, la troisième en trois jours. Maggie
avait plus d'expérience et était déjà venue plusieurs fois sur ce
trail. Elle était sereine. Quant au ménage à trois, Polo, Aldo et
Ricky, il répondait présent et s'apprêtait à découvrir le
parcours.
Tous les coureurs
étaient réunis dans une petite pièce. Les uns sur les autres, ils
se changeaient, se préparaient, attendaient. Les pros se
concentraient, les tendus s'étiraient, les glandeurs glandaient.
Marcel n'était pas
encore là. Il n'était pas invité mais apparemment, il voulait
taper l'incruste. Si cet ouragan pouvait s'oublier et ne pas passer,
personne ne s'en plaindrait. Les amis de Jean partirent s'échauffer
au-dehors. Pas pressé de se les geler, le petit traileur préféra
rester au chaud dans la pièce exigüe. Il s'étala de la pommade
chauffante sur les jambes pour préparer ses petits muscles qui lui
occasionnaient quelques légers bobos ces derniers temps. Et 5 à 10
minutes d'échauffement peu avant le départ seraient suffisantes. Il
l'espérait…
- Tout va bien !
annonça le speaker avant de donner le départ. Le parcours est damé
et la neige est portante ! Courez sur les traces des chenilles,
évitez le milieu de la piste !
Jean luttait à
chaque pas. Aucun rebond. La neige était labourée. Il se demandait
bien où elle portait, le speaker devait arracher des dents durant la
semaine.
Le ciel était gris,
une belle trouée de bleu, le sol était blanc. Jean était dans le
rouge. Comme d'habitude. Il était encore parti trop vite. Il faudra
bien qu'un jour, il se penche là-dessus et tente de faire un départ
cool pour voir comment se déroule la course ensuite. Mais en même
temps, dans les trails blancs, valait-il mieux partir plus vite, dans
les premiers et profiter d'une neige éventuellement plus dure ou se
préserver mais batailler dans le peloton et la neige explosée ?
Question tactico-tactique. Jean tentait de résoudre l'énigme et
allait se faire des nœuds au cerveau. En attendant de trouver la
solution, il courrait en évitant de se faire des nœuds avec les
jambes.
Les premiers
kilomètres étaient difficiles. Lors d'une descente, Jean vit une
double flèche peinte sur la neige labourée. Il pensa immédiatement
qu'il emprunterait cette même partie ardue en sens inverse, donc en
montée, et en fin de parcours. Dur, dur.
La neige devint
légèrement plus dure. Jean arriva au ravitaillement tenu par de
valeureux bénévoles. Quelques cacahuètes, des raisins secs, le
verre d'eau avait déjà ses petits glaçons. Un apéro. Ne manquait
que le pastis. Mais il fallait repartir.
- On accélère ?
demandèrent le cœur et les poumons en chœur.
- Bof, pas trop
envie, répondit le cerveau en solo.
- Hé, oh ! Ça
va pas en haut ? s'écrièrent les jambes de concert. C'est pas
vous qui en chiez à chaque pas. Nous, c'est bon, quoi, on fait notre
boulot, mais faut pas pousser le bouchon non plus. Le rendement, le
rendement ! Non mais, vous avez que ça à la bouche ? On
va se plaindre
au syndicat si ça continue ! Capitalistes ! Esclavagistes !
au syndicat si ça continue ! Capitalistes ! Esclavagistes !
Le dos se taisait.
Et c'était pas plus mal car les rares fois où il causait c'était
jamais bon signe. Jamais un mot gentil, jamais un compliment.
Toujours à se plaindre.
- C'est la luuutte…
finaaale… se mirent à chanter les jambes.
Jean se rangea du
côté de ses guibolles et maintint son allure sans accélérer. Il
dépassa un coureur arrêté sur le bord. Quelques mètres plus loin,
dans une descente en mono-trace, il sentit des pas qui se
rapprochaient dans son dos.
- Si tu veux passer,
dis-le moi, fit Jean.
- Non, non, pas de
problèmes, répondit le
coureur qui lui collait au derrière. Je suis pas pressé. Je viens de loin, alors je suis plutôt là pour profiter.
coureur qui lui collait au derrière. Je suis pas pressé. Je viens de loin, alors je suis plutôt là pour profiter.
Un peu plus loin,
alors que le parcours empruntait une route enneigée, Jean vit le
coureur poser une accélération en sifflotant et qui le laissa sur
place. Il en profita pour profiter.
Jean aimait le ciel
bleu et le grand soleil, mais il appréciait de plus en plus les
montagnes sous un ciel gris et nuageux où perçait parfois de
petites trouées bleues et qui donnait des contrastes saisissants aux
couleurs du paysage. Les sommets enneigés s'offraient à la vue, la
vallée du Barétous et les contreforts des Pyrénées dévoilaient
leur beauté hivernale. Merveilleux.
La neige avait
quitté par endroits quelques centimètres sur le bort de la route.
Jean s'y plaça, délaissant la neige. Que c'était bon de ne pas
s'enfoncer ! Le bonheur tenait à peu de choses.
Le parcours repartit
en hors-piste. Une jolie petite montée suivi d'un court passage en
crête pour ensuite effectuer une descente en poudreuse. Jean
s'élança et il prit un plaisir énorme dans cette descente. Trop
courte. Arrivé en bas, il eut presque envie de la remonter pour à
nouveau se la refaire. Ses jambes gueulèrent, Jean abdiqua.
Les trois-quart de
la course étaient avalés quand l'aspirant traileur sentit un
premier souffle.
Marcel débarquait. Sans scrupules, il lâcha tous ses vents. Et il en avait dans le bide ! Les flocons déboulaient à l'horizontal et fouettaient le visage. Le paysage disparu, tout devint blanc. Trail blanc.
Marcel débarquait. Sans scrupules, il lâcha tous ses vents. Et il en avait dans le bide ! Les flocons déboulaient à l'horizontal et fouettaient le visage. Le paysage disparu, tout devint blanc. Trail blanc.
Jean était heureux.
Il sourit stupidement, seul dans la tempête. C'était aussi ce genre
de moments, de conditions dantesques, qui laissait des souvenirs
impérissables.
L'arrivée se
dévoilait. Un grand désert neigeux et venteux. Le pauvre speaker
attendait dans le froid, en compagnie de quelques bénévoles qui
avaient la malchance d'être attribué à la réception des dossards
et des puces électroniques de
chronomètre. Jean franchit la ligne et s'engouffra dans le bâtiment où s'entassaient les très nombreux coureurs déjà arrivés. 12,8 kilomètres pour un peu moins de 400 mètres de dénivelé, le parcours ayant été modifié avant la course en raison des conditions météos. Ses amis du club arrivèrent rapidement. Trail, garbure et sandwich. Le trio imparable de l'hiver.
chronomètre. Jean franchit la ligne et s'engouffra dans le bâtiment où s'entassaient les très nombreux coureurs déjà arrivés. 12,8 kilomètres pour un peu moins de 400 mètres de dénivelé, le parcours ayant été modifié avant la course en raison des conditions météos. Ses amis du club arrivèrent rapidement. Trail, garbure et sandwich. Le trio imparable de l'hiver.
Il fallait
maintenant reprendre la route avec Bébert et Maggie pour revenir
chez soi. L'épouse de Bébert les reçut avec du café et des crêpes
près du feu. Délicieux. Cela valait le coup d'en baver dans le
blizzard.
Crédits photos : Alain.
Crédits photos : Alain.
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