24 Avril 2016,
Arette. Trail du Barétous. Jean s'était inscrit sur le 28
kilomètres. 1380 mètres de dénivelé, une montagne pour lui. Il
attendait fébrilement le top départ en regardant autour de lui. Il
ne vit que des athlètes, des mecs et des filles rompus à
l'exercice, la facilité rivée au sourire blanchâtre, l'assurance
ancrée dans leurs discussions tranquilles.
Jean se demandait ce
qu'il foutait là. Quelqu'un s'était fait un malin plaisir à faire
des nœuds avec ses intestins et à lui enfourner au fond de la
gorge. Il pensa à son genou gauche qu'il avait strappé dans une
pathétique tentative de se rassurer. Cela faisait deux mois qu'il
lui en faisait voir avec son syndrome rotulien, à priori un
déséquilibre musculaire. Musculaire… musculaire… encore
aurait-il fallu en avoir des muscles ! Jean regardait les cuisses
autour de lui. Ça, c'était des muscles. Des trucs qui ressortaient
de partout. Non, décidément, il voyait pas trop quel déséquilibre
il pouvait avoir.
Jean savait qu'il
aurait mieux valu ne pas forcer mais cette course était un objectif
depuis longtemps, et il s'était entraîné pour. Du mieux qu'il pût
avec ce satané genou.
La course débuta,
Jean s'élança.
Il avait à peine
fait 500 mètres que sa cheville se déroba. Crack ! Aïe ! Jean dût
s'arrêter, faire quelques pas. C'était la cheville droite. Avec son
genou gauche, ça allait équilibrer les débats. Un bon début,
encore 27 kilomètres et demi à parcourir, il allait bien rigoler.
Un homme passa à côté, lui demanda si ça allait. Jean répondit
que oui, plus pour se rassurer lui-même. Clopin-clopant, tout de
guingois, il se remit à trottiner. Il serra les dents. Peu après, à
chaud, la douleur finit par se faire oublier.
La première partie
du parcours fut avalée. 12 kilomètres. Jean se sentait plutôt
bien. Son genou et sa cheville étaient silencieux, il allait à un
bon rythme, suivant ses critères. Il attaqua la deuxième partie.
Ça montait, ça
descendait, ça montait, ça descendait, ça montait, ça descendait.
Et parfois, ça montait aussi.
Le genou commençait
à crier, la cheville refusait de se taire. Une grosse descente bien
raide s'annonça. Derrière lui, une meute de coureurs déboulait.
Elle descendit, le sourire aux lèvres, la bave au vent. Jean se mit
de côté, les laissa passer un par un, admiratif de leur équilibre.
Il descendit à son tour, lentement, mais sûrement. Ce fut long. A
chaque pas, il entendait son corps lui dire d'arrêter. Même son
cerveau commençait à faire la gueule. Il ne sut pas trop quelle
partie lui ordonnait de continuer. Ses tripes peut-être ? Ou bien
son cœur ? Il ne savait pas, cela avait peu d'importance. Il
continua.
Jean arriva au
dernier ravito. Il prit son temps, il se dit qu'il l'avait bien
mérité. Surtout, il regardait la longue montée qui allait suivre.
Il s'y engagea. Les autres coureurs continuaient à le doubler. Un
par un, inlassablement. A chaque descente, il se disait que c'était
la dernière, que l'arrivée était proche. A chaque fois, un mur se dressait à nouveau. C'était
quoi ce pays ?
Le village d'Arette
apparut. Ouf !
Pas tout à fait.
Car il apparut… au loin. Longue descente. Très longue. Très très
longue. Dans le genre interminable. Une cheville, un genou, Jean se demanda
si ça serait pas mieux de finir sur les mains. Il se raccrocha à ce
qu'il pouvait, se rappela tous les beaux endroits qu'il venait de
traverser et le paysage qui s'offrait à lui à ce moment là. Il se
dit que c'était quand même pas mal d'être là.
Une femme le doubla
non loin de l'arrivée tandis qu'un petit garçon lui lâcha :
- Hé ! Tu vas pas
te faire doubler par une femme !
Jean gifla le gamin.
C'était plus radical, mieux qu'un long discours. L'enfant roula sur
plusieurs mètres, et s'affala au pied d'une petite fille qui le roua
de coups de pieds.
En fait, non. Ce
n'est pas du tout ce qui s'est passé hormis dans sa tête. En fait,
Jean aurait voulu lui répondre que bien sûr que si qu'il allait se
faire doubler par une femme. Qu'il n'y avait pas de honte. Qu'il y en
a eu un nombre incalculable qui l'avait déjà doublé aujourd'hui et
auparavant et qu'il y en aurait encore un nombre infini dans
l'avenir. C'est aussi la beauté de ce sport où les courses
mélangent les gens et les genres. Ou on apprend l'humilité.
Jean franchit la
ligne d'arrivée. Façon puzzle. Les spectateurs étaient partis, le
vent faisait rouler les virevoltants dans les rues désertes. Il
avait mal aux jambes et ce fut un calvaire de retirer ses chaussures
et de se rhabiller. Il était déçu par son chrono, sa place au fin
fond du classement. Ce fut son premier sentiment. Et puis, petit à
petit, autre chose vint s'immiscer dans son esprit. Finalement une
certaine fierté. Avoir terminé. Malgré les obstacles, la douleur,
la difficulté. Il était arrivé au bout. Finisher. C'était aussi
ça, le trail.
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